La haine du monde : Totalitarismes et postmodernité (French Edition)
Chantal DelsolMais il serait faux de croire que ces illusions nous ont quittés. Ce que nous avons rejeté avec force, c’est le totalitarisme comme terreur. Pour autant, nous poursuivons les tentatives de transfiguration du monde, d’abolition de ce monde imparfait.
Au point de l’histoire où nous en sommes, le débat et le combat opposent ceux qui veulent encore remplacer ce monde, et ceux qui veulent le défendre et le protéger.
Le jardinier qui travaille sous ma fenêtre est un admirateur du monde. Il n’imagine pas qu’il pourrait produire quelque plante. Il cultive. Autrement dit, il aide à croître ce qui existe sans lui. Il ne crée pas, il ne fabrique pas : il prend soin. D’où l’humilité. Il se voit comme une sorte de gérant, et encore, bien improbable. Car il lui est difficile de prédire, et la certitude il ignore ce que c’est. Bien souvent il travaille comme un damné, dans les règles de l’art encore, et n’obtient que des fruits sans saveur ou des végétaux plissés. Ou alors apparaissent spontanément sous ses pieds des beautés qu’il croyait impossibles. Évidemment, il a quelque pouvoir, lequel peut grandir encore à la faveur des savoirs multipliés. Il produit des hybrides, renforce les défenses de ses plantes, grâce à des techniques apprises ou inventées. C’est là d’ailleurs sa grandeur, car le jardinier ne se réduit pas au rôle de nourrice. Et cependant il demeure tributaire d’un ordre du monde qu’il n’a pas édicté, et qui, en grande partie, le dépasse.